• Vive l'autorité!

     En famille et à l'école

    L'autorité à la rescousse  par Juliette Labaronne

    Parents et profs n'ont plus de repères, ne sachant pas où se situer entre autoritarisme et laxisme.

     

    Fais pas ci, fais pas ça, viens ici, mets-toi là, attention, prends pas froid, ou sinon gare à toi ! » chantait Jacques Dutronc en… mars 68. Deux mois plus tard, la rue bousculait en profondeur les hiérarchies en place, notamment en ce qui concerne l’éducation. Quarante-cinq ans plus tard, l’influence de ce printemps brûlant où il fut soudainement interdit d’interdire est encore palpable. Mais le dogme a vécu. Après avoir expérimenté, négocié, joué la carte séduction, parents et éducateurs de tous bords se disent inquiets et perdus. En deux mots, c’est la chienlit. Aurait-on fait fausse route ? Encouragé la médiocrité par trop de permissivité ? Appelé à la rescousse, le mot « autorité » est de nouveau dégainé.

     

    Où placer le curseur ?

     

    En trente ans de pratique, Françoise Bodin-Charpentier, psy­cho­thérapeute spécialiste de la famille, a constaté comme un « glissement » dans son cabinet parisien. Des parents prêts à d’incroyables contorsions pour éviter tout pleur de leur fille de 2 ans ; des pères qui regrettent d’avoir fait la morale à leur fille après avoir découvert un joint… Elle ne compte plus les exemples illustrant la douce confusion qui règne en matière éducative, de la part des parents et, plus largement, de la société. Où placer le curseur ? Comment éduquer, enseigner sans casser ni abandonner le navire ? « Si l’on ne se posait pas assez de questions hier, on négocie trop aujourd’hui, par fatigue, flemme ou même, fait nouveau, de peur d’être jugé par ses enfants », constate la psychothérapeute. La perte de repères est généralisée même si certains parents, au clair avec eux-mêmes, savent faire preuve de courage. Et l’opération séduction se révèle bien souvent une bombe à retardement une fois l’adolescence venue. Car jusqu’où repousser des limites jamais posées ? Jusqu’à la mise en danger ?

    Du côté des profs, on constate la même mutation, mais le retour aux coups de règle sur les doigts n’est pas à l’ordre du jour. Tant mieux, car céder à la tentation répressive serait une confusion quant à la notion subtile d’autorité. Selon la philosophe Hannah Arendt, spécialiste du totalitarisme, « s’il faut vraiment définir l’autorité, ce doit être en l’opposant à la fois à la contrainte par la force et à la persuasion par arguments ». Malgré tout, confondu avec l’autoritarisme primaire, le concept même d’autorité fait encore souvent figure d’épouvantail, à rebrousse-poil des valeurs triomphantes d’épanouissement personnel et de plaisir immédiat.

    Pour Philippe Watrelot, prof en lycée et formateur à l’IUFM, l’autorité est pourtant un des thèmes plébiscités par les futurs enseignants. Un sujet sensible pour ces jeunes diplômés qui ont parfois du mal à se poser en adultes face à des élèves à peine plus jeunes. Selon le pédagogue, recourir à la séduction comme principal outil éducatif serait un leurre. Pire, « une perversion de ce que devrait être un juste enseignement ». A ses étudiants, il explique que l’autorité ne doit pas se confondre avec le pouvoir ou l’emprise. Que ce n’est pas non plus un don, mais qu’elle se gagne par l’expertise professionnelle, par les contenus et le savoir-faire pédagogiques.

     

    La société se complique

     

    « Souvent, je ne me trouve pas devant un

    enfant problématique, mais devant deux parents, ou plutôt deux copains, incapables de s’imposer face à leur enfant, indique la psychothérapeute Françoise Bodin-Charpentier. On nage en plein chantage affectif même si, souvent, les mères finissent par réagir quand le quotidien devient infernal. » Selon elle, de nombreux parents attendent son feu vert pour dire non à leurs enfants. Ces adultes ne se sentent-ils donc pas légitimes dans leur rôle parental ? Dans une société qui valorise à l’extrême la jeunesse et verse dans la drague à tous les étages – politique (le story­telling), économique (la publicité) – singer les jeunes au point de ne plus se sentir à sa place en posant jalons et interdits est un piège qui s’est refermé sur nombre d’adultes. Ils sont eux aussi victimes de l’envie de (se) plaire, de la peur de renvoyer une image de has been.

    Mais ne sombrons pas dans un « adulte bashing », un dénigrement à tous crins aussi stérile qu’injuste. Ils n’ont certes plus le pied très sûr, mais à leur décharge, ça tangue fort. Horaires décalés, chômage, parents isolés ou séparés, « notre société se complique », reconnaît Françoise Bodin­-Charpentier. Et au rayon tracas parentaux, trônent désormais les nouvelles technologies. Interdire ? Limiter ? Contrôler ? Les parents (et même les profs) sont tous en plein questionnement.

    Eux-mêmes en apprentissage, les adultes ne savent plus à quel saint se vouer. Ni vers quel prophète pédagogique se tourner. Même l’héritage de Françoise Dolto, figure emblématique de la psychologie de l’enfant depuis les années 1970, est sur le grill. Dans son pamphlet « Génération Dolto » (Odile Jacob, 2008), le psychothérapeute Didier Pleux juge ainsi que sa pédagogie aurait accouché d’une génération d’enfants-rois et de parents inopérants. Sans aller jusque-là, de nombreux psys reconnaissent que les travaux de la pédiatre ont souvent été mal interprétés. « Dolto disait : “L’enfant est une personne”, mais trop ont compris : “L’enfant est une GRANDE personne”, ce qui est presque l’inverse. On a dévoyé son message », défend Françoise Bodin-Charpentier.

    Même la définition de l’enfant se floute : « Quand on me parle d’un “pré-ado” pour un enfant de 9 ans, je dis stop. Les choses ne vont-elles pas déjà assez vite pour vouloir les faire grandir en accéléré ? » Quant à la sortie d’adolescence, là aussi, c’est à géométrie variable. A 19 ans, selon les sources, on est post-ado, adulescent ou jeune adulte. Plus tard, devenus parents à leur tour, se questionneront-ils autant ?

       Clés

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