Pierre Pavy, patron du restaurant Le 5 et du Caffé Forte à Grenoble, se définit comme un restaurateur militant. Depuis douze ans, il mène différents projets dans l’agglomération afin de venir en aide aux plus démunis, notamment en leur proposant des repas à un euro. A travers sa nouvelle initiative, Pierre Pavy souhaite, en plus, sensibiliser la population au gaspillage alimentaire.
Youphil: En quoi consiste cette nouvelle initiative?
Pierre Pavy: Nous voulons récupérer dans les grandes surfaces les aliments qui arrivent à date limite de consommation, en faire des plats préparés et les reconditionner sous vide ou sous forme de plats surgelés. Je préfère donner des aliments déjà préparés aux familles plutôt que de leur fournir juste des denrées qu’elles doivent ensuite cuisiner alors qu’elles n’ont pas toujours le matériel adapté. Ces plats seront ensuite distribués par la Banque alimentaire de l’Isère. Bernard Pery, son directeur, a même proposé de nous mettre à disposition 25 kilos de viande par jour.
A travers ce projet, quel message voulez-vous véhiculer?
Dans les villes, nous débordons de nourriture. Il y en a partout, mais nous en jetons 40%. Paradoxalement, certaines personnes n’ont pas de quoi se nourrir. C’est de ce constat que notre projet est né. L’idée que des personnes puissent avoir faim dans une ville me révolte. Il faut interpeller les populations et les sensibiliser contre le gaspillage.
Il fallait trouver une cuisine suffisamment grande pour nous accueillir. Nous l’avons trouvée dans un foyer de jeunes travailleurs! Il ne manque plus que la validation de la ville. Grâce à cette initiative, nous pensons pouvoir apporter entre 5000 et 10.000 portions de repas par mois pour l’agglomération grenobloise.
Pourquoi un tel engagement?
On est peu de temps sur terre alors autant faire des choses utiles. Certains restaurateurs sponsorisent des clubs de foot ou de rugby, moi j’ai décidé de donner à manger aux sans-abris. Evidemment, je fais ça pour le côté humain. C’est une démarche qui s’inscrit dans ma conception de la vie. Il y a quarante ans, j’étais en Afghanistan et j’ai jeté un morceau de pain. Un Afghan est arrivé et m’a injurié. "On ne jette pas le pain par terre", m’a-t-il expliqué. J’ai compris le message: quand on a un morceau de pain en trop, il peut toujours servir à quelqu’un d’autre.
Depuis quand menez-vous des actions de solidarité à Grenoble?
Il y a douze ans, Anna Laverdine, la présidente de l’ASDF, une association d’accueil des SDF, m’a demandé d’organiser un repas de Noël pour les plus démunis de Grenoble. J’ai alors eu l’idée de les inviter dans le restaurant que je dirige avec mon fils. Depuis, chaque mardi avant Noël, nous recevons une centaine de personnes dans notre établissement "Le 5". C’est le cadeau que nous leur faisons.
Avec les années, une relation amicale s’est créée entre nous. Je voulais aussi faire du restaurant une passerelle entre nos clients habituels et les gens de la rue, afin que ces deux mondes se rencontrent. Pour cela, nous avons mené une opération CV pendant deux mois. Les CV des démunis étaient imprimés sur les sets de table du restaurant et ce sont nos clients qui découvraient ces demandes d'emploi en venant déjeuner chez nous. Pour certains, ça a fonctionné.
Chaque samedi vous proposez aussi des repas à un euro…
Un jour, l’ASDF m’a interpellé en me faisant remarquer qu’il n’y avait pas de repas offert aux plus démunis le samedi par les associations. Ils m’ont demandé de leur préparer des sandwichs mais un sandwich ce n’est pas un repas! Nous avons donc décidé de faire un vrai repas. De là est née l’idée du menu à un euro.
Pour venir, les bénéficiaires doivent s’inscrire 48 heures à l’avance en faisant une "vraie" réservation. Chaque samedi, entre octobre et avril, mes compagnons de travail accueillent et servent, bénévolement, nos 45 invités. Pendant la semaine, nous signalons l’existence de ces repas à un euro sur toutes nos cartes. Souvent, nos clients proposent spontanément de venir le samedi pour faire la vaisselle!
Que peuvent-ils manger?
Le menu est unique et les plats proposés viennent de notre carte habituelle. Les entrées, c’est souvent une soupe de légumes ou de poisson avec des croûtons. On nous demande aussi les recettes des plats servis!
En plat, ils apprécient le curry d’agneau ou la daube de bœuf. Un producteur local nous offre chaque semaine du fromage. Pour le dessert, c’est gâteau au chocolat ou crème brûlée. Normalement, l’addition s’élève entre 25 et 30 euros. Ça me touche quand un sans-abri me dit qu’il espère pouvoir revenir seul, sans l’association et payer avec ses propres moyens.
Vos différents projets ont-ils donné des idées à d’autres?
Un autre restaurateur de la ville envisage de mettre en place une initiative similaire l’année prochaine. Mais ce projet n’est pas possible pour tout le monde. Pour mener ces initiatives, il faut avoir des établissements suffisamment grands et qui fonctionnent bien, ainsi qu’une équipe disponible et mobilisée.