• Trop de musique rend-il sourd?

      Mercredi 29 Janvier 2014

     DRPollution sonore
       [.....]   Mais, avec cette écoute à plein tube pour s'isoler de ce que l'écrivain Jean-Michel Delacomptée appelle l'«orgie sonore» de l'environnement urbain, c'est toute une génération que se trouve menacée d'un nouveau danger sanitaire.

    Yves Cazals, spécialiste de la surdité à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), s'efforce en vain d'alerter consommateurs et pouvoirs publics sur les dangers qu'implique l'usage à haute dose du baladeur dans l'espace public. Le spécialiste, qui a récemment dirigé une étude sur les «expositions aux niveaux sonores élevés de la musique» pour le Haut Conseil de la santé publique, estime à environ 5 millions le nombre de Français qui pourraient être victimes d'une perte d'audition à cause d'une écoute trop longue et à trop fort volume : la détérioration auditive dépend à la fois du niveau sonore et de la durée d'exposition. «Si vous évoluez dans un milieu bruyant toute la journée, que vous ajoutez l'écoute de votre musique pendant les temps de loisir, le soir, sans compter les moments ou vous montez le son, comme dans le métro, ça commence à faire beaucoup...» souligne-t-il. Sans compter les virées en discothèque.

    Entre 5 et 10 % des jeunes poussent le son jusqu'à 100 voire 110 dB des heures durant. Le seuil de dangerosité fixé par la réglementation internationale est de 85 dB pendant huit heures, «Si on ajoute 3 dB aux 85 en vigueur, alors il faut diminuer le temps d'écoute par deux. A 91 dB , le temps maximal à ne pas dépasser est de deux heures, à 94 dB , une heure, etc. Le problème, c'est qu'ils n'ont pas conscience du niveau sonore qu'ils envoient dans leurs oreilles», poursuit Yves Cazals. Encore moins quand ils montent le son spécialement pour être hermétiques aux autres...

    Même Lucas, l'étudiant en médecine pourtant bien informé, l'admet : il lui arrive de mettre le volume au maximum, mais, assure-t-il, jamais plus de trente minutes, le temps moyen de ses déplacements en ville. Reste qu'en rentrant chez lui rebelote : il écoute de la musique au casque, également «à fond».

    T'entends plus...

    Devant le collège Françoise-Dolto, dans le XXe arrondissement de Paris, un groupe de copains discutent avant de commencer leur journée de cours. David, ado rigolard de 14 ans, reconnaît bien volontiers qu'il «écoute du son» – du hip-hop, essentiellement – plusieurs heures par jour. Casque posé sur la nuque, il marque une certaine surprise lorsqu'on l'informe des risques qu'il fait courir à ses oreilles, mais se rassure en répétant qu'il ne le met «jamais le son au max». Ses camarades pouffent... «Ce n'est pas parce qu'ils écoutent fort que tous vont devenir sourds, relativise néanmoins Yves Cazals. On ne sait pas dire qui risque réellement d'en pâtir ou non.» D'où la nécessité de prévenir, comme cela se fait dans certains collèges, où des spécialistes viennent sensibiliser les élèves.

    Il faudrait surtout que le législateur et les fabricants prennent leurs responsabilités et aillent plus loin que l'étiquetage indiquant qu'«à pleine puissance, l'écoute prolongée du baladeur peut endommager l'oreille de l'utilisateur»... Pour Yves Cazals, il faut inciter les marques «à installer une fonction sonomètre ou un voyant lumineux qui s'allume dès que l'utilisateur entre dans une zone à risque pour ses tympans. Ça ne leur coûterait rien !»...

    Le spécialiste s'inquiète du coût social que provoquerait une trop forte augmentation du nombre de gens frappés de surdité précoce. «Avec l'augmentation du nombre d'utilisateurs de baladeurs et le vieillissement de la population, on accumule le danger d'avoir une partie de la population active handicapée par une surdité irréversible, ce qui impliquerait l'usage de prothèses onéreuses ou une moindre rentabilité dans le travail», avoue-t-il.

    Dans cette volonté de se tenir à bonne distance du monde qui l'entoure et de ne pas communiquer avec d'autres que la tribu de copains, c'est toute une génération qui s'atrophie. Elle a déjà du mal à y voir clair sur son avenir, il serait dommage qu'elle n'y entende plus rien. 
     
    Quel point commun entre le producteur David Guetta, l'ex-première dame Carla Bruni, la nageuse Laure Manaudou ou le rappeur La Fouine ? Rien... sinon qu'ils ont tous prêté leur image à des campagnes de pub faisant la promotion de modèles de casques dernier cri. Et ça marche. En dépit de leur prix (entre 100 et 400 €), ces accessoires sont devenus en quelques années le moteur d'un secteur en berne : environ 10 millions d'unités ont été vendues dans l'Hexagone, en 2012.

    «C'est un des très rares segments de l'électronique grand public à afficher une croissance à deux chiffres», selon Julien Jolivet, du groupe GfK. Pour le chercheur Philippe Le Guern, «on assiste à une valorisation symbolique du casque chez les jeunes». Outre les innovations techniques (capteurs recréant une ambiance sonore «naturelle», son stéréo, etc.), les marques s'appuient sur le design pour accrocher leur cœur de cible : les 15-30 ans.

    Le casque est devenu «un accessoire de distinction sociale et d'appartenance à une tribu avant d'être un produit qu'ils achètent pour la qualité du son», poursuit Philippe Le Guern.

    Autre raison de ce succès : l'isolement, nettement meilleur que celui des petits écouteurs. Ce n'est pas pour autant que «les casques protègent mieux les tympans, prévient Yves Cazals, spécialiste de la surdité à l'Inserm. C'est juste qu'ils évitent de monter le son.» C'est déjà ça.
    • Article initialement paru dans le magazine Marianne numéro 866.

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