Benjamin Carle, 25 ans, a décidé de vivre made in France pendant neuf mois. Le règlement que s'est fixé le cobaye enquêteur est tyrannique : son appartement doit peu à peu se vider de tout ce qui n'est pas produit dans l'Hexagone. Si l'origine du produit n'est pas précisée, il dégage. S'il n'existe rien pour le remplacer, on s'en passe. But de l'opération : arriver à 100% en mars 2014. Son salaire de 1 800 euros net par mois doit suffire. Tout sera filmé dans le cadre d'un documentaire, diffusé sur Canal+ au printemps prochain. Une démonstration par l'absurde inspirée du personnage exclusivement nourri au McDo de « Super Size Me », le film américain qui dénonçait la malbouffe et l'industrie des fast-foods.
La semaine dernière, un expert du label Origine France Garantie a passé son appartement de Belleville au scanner. Il lui a posé la question qui tue : « Est-ce que votre peinture est made in France ? » Après son passage, exit la glycéro des murs, le super vélo anglais remplacé par une vieille Motobécane, la machine à laver et le reste de l'électroménager, les trois quarts de ses fringues, ses provisions. Restent dans les placards des verres Duralex, une veste militaire confectionnée à Lille, une paire d'espadrilles qui fera l'été. Mais son quotidien risque de changer : « Les courses au supermarché vont être interminables. Je vais éplucher les étiquettes, traquer les AOC. Fini les séries américaines, vive les vieux tubes de la chanson française et les groupes locaux comme Granville. On va devoir faire les lessives dans le couloir car les rares machines à laver françaises sont à chargement par le dessus, ce qui n'est pas pratique dans notre cuisine. Et qui sait peut-être un soir quand ma copine rentrera, le lit Ikea sera parti ! »
Cette expérience de croisé du local « c'est un fil rouge pour illustrer les difficultés du made in France dans un contexte marqué par les fermetures d'usines », explique l'intéressé. « Ce sera une plongée dans le patrimoine industriel. Une manière de parler des chiffres de l'Insee sans être barbant. » Benjamin ne veut pas que sa penderie se transforme en dressing du cocardier mais préfèrerait garder son style. « On trouve des peignoirs mais le bon tee-shirt simple, ça c'est autre chose. J'ai déniché une entreprise familiale bordelaise qui produit à Roubaix l'un des derniers jeans français. J'ai aussi un haut, Mon Petit Polo français, je suis sauvé. »
Dix ans après la vague verte et la mode bio, le made in France est devenu la nouvelle manne marketing. Chaises, vodka, crèmes de beauté, et même caviar, les marques apposent des fanions bleu-blanc-rouge partout. Le marché semble coupé en deux : des petites marques locales qui reprennent le créneau terroir et cocardier pas toujours très folichon, et des griffes plus branchées, créées par de jeunes créateurs web 2.0. Sans parler des grandes marques de renommée internationale, qui conservent quelques pépites faites en France et délocalisent le reste de leur production. Devant cet éventail très large, le consommateur se débrouille comme il peut.
Pourtant il en veut ce consommateur. Selon un sondage de janvier dernier réalisé par l'Ifop pour l'opticien Atoll, 77% des Français estiment que le made in France est un critère suffisamment important pour justifier un prix plus élevé. Reste à trouver le mode d'emploi. « Il faudrait être sûr qu'au moins 50% de la production soit réellement produite en France. Il y a de très beaux projets comme la marque parisienne Bleu de Paname, qui fabrique même ses tissus en France, ou La Botte Gardiane. Le vrai point commun avec le bio, c'est l'importance de la traçabilité », explique Sébastien Kopp, de la marque de baskets écolo Veja, créateur de la boutique Centre commercial, vitrine originale de la jeune création, notamment française.
Il y a un problème d'échelle. Difficile de comparer une entreprise industrielle comme Petit Bateau, qui a pu conserver son usine historique de Troyes où travaillent 1 100 personnes (sur les prototypes, la recherche développement, les séries limitées) parce qu'elle délocalisait le reste de sa production au Maroc et en Tunisie, et les petits ateliers familiaux, qui rendent possible le succès de jeunes griffes de niche comme Le Slip français. Jean-Marc Gaucher, le PDG de Repetto qui a doublé la superficie de son usine de Dordogne et ouvert une école, explique : « 90% de son chiffre d'affaires sort de notre site de production. Toutes les opérations manuelles sont faites surplace, mais vu les quantités produites, il arrive que le cuir de chèvre ne soit pas disponible en quantité suffisante ici et qu'on aille le chercher en Italie». Il trouve particulièrement injuste le procès fait récemment à Hermès par « Envoyé spécial », qui montrait qu'une petite série de la ligne de porcelaine prétendument réalisée en France avait été délocalisée. Injuste parce que c'est grâce aux maisons comme Hermès, Vuitton ou Chanel que restent ouvertes les dernières usines. « Au contraire, je tresserais des lauriers à des gens comme eux qui donnent le bon exemple », rétorque le PDG de Repetto. Espérons que Benjamin, le cobaye télévisé du made in France, trouvera pour son quotidien de petits fournisseurs plus accessibles. Sinon son salaire 100% made in France risque de fondre en deux jours.
P.S.: lavieenvert félicite Benjamin et lui signale qu'il existe un site intitulé La Fabrique Hexagonale qui répertorie le "made in france" qui est peut-être un peu plus important que ce que l'on croit et ne concerne pas uniquement les produits de luxe.