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Vive le yoga!
22/06/2013
Conseils d’une prof de yoga à ceux qui ont un handicap, comme elle
Nadège termine son cours de yoga. Elle en donne douze par semaine, dans le centre qu’elle a créé avec son associée. A 43 ans, l’ancienne responsable de gestion est soulagée d’avoir trouvé un local de plain-pied, accessible aux personnes handicapées, sur le canal de l’Ourcq, dans l’est de Paris.
Ironie du sort, jusqu’à ses 14 ans, Nadège a porté des chaussures orthopédiques. Avant ses 5 ans, elle a été opérée à quatre reprises, pour un pied bot. Cette déformation du pied entraîne un déséquilibre du corps, qui cause de fortes douleurs dans le dos et, par ricochets, dans tous les membres.
Attelles, kiné, médecins en tous genres, Nadège a finalement trouvé dans le yoga une manière de prendre soin d’elle en limitant tous ces traitements. Au point d’en faire son métier.
« Au ski, je traînais la jambe »
Enfant, Nadège faisait de la danse et des claquettes.
« Mes parents étaient adorables, ils faisaient comme si de rien n’était et m’emmenaient faire des trucs improbables. J’ai fait du ski, par exemple ! Mais je traînais la jambe. »
Arrivée à l’âge adulte, Nadège voit surtout qu’elle n’arrive plus à progresser :
« Même en danse, tu stagnes, tu vois que c’est limité. »
Alors que son médecin part à la retraite, Nadège se « retrouve toute seule dans la nature », un peu désemparée :
« On ne m’avait pas parlé de mon avenir, on ne m’avait pas dit que j’aurais des problèmes de dos. Je ne savais pas quoi faire pour soulager mes douleurs. »
Elle pense au tennis, mais les gestes s’avèrent trop violents. Depuis un moment, elle voit aussi sa mère revenir de ses cours de yoga « détendue », « se sentant mieux ». Elle feuillette les livres que celle-ci rapporte, y voit des « gens sur la tête » et commence à être intriguée.
Alors, après le bac, Nadège s’inscrit dans un club sportif pour son premier cours, et tombe sur une fac qui propose une UV de yoga (sans doute parce qu’il y avait des cours de sanskrit, pense Nadège).
« Je ne sais pas ce que vous faites, mais continuez »
« Je ne sais pas ce que vous faites, mais continuez ». Nadège répète la phrase du podologue : « Au niveau médical, on m’a toujours dit que ça me faisait du bien pour le dos, l’équilibre, le placement du bassin ». Elle le sent, de toute façon. Sans le yoga, elle aurait des maux de dos « en permanence ».
Certaines postures la soulagent particulièrement, comme celle sur la tête – « le poids ne repose plus sur les pieds et on travaille l’alignement du corps » – ou la pince avant : les jambes allongées sur le sol, le buste descend jusqu’où il peut, ce qui détend les lombaires.
Tous les équilibres ne sont toujours pas possible pour Nadège, même ceux qui se font les jambes pliées, près du sol. Sans doute parce que son bassin ne se positionne pas de manière symétrique, dit-elle posément.
Une chose est certaine, la pratique régulière lui permet de savoir où elle en est :
« Mon père est mécanicien et j’ai toujours vu le yoga comme un contrôle technique bien utile : on ouvre tout, on regarde et on répare. »
Le yoga l’aide notamment à savoir quand ça va mal :
« J’ai trouvé un équilibre dans mon corps, mais il est assez instable. Je suis toujours à la limite de me faire mal. Concrètement, mon corps s’enroule autour de ma jambe droite, qui travaille davantage. Comme du papier à cigarette, m’a dit un jour un médecin. C’est bien de le sentir, et d’aller voir quelqu’un quand ça arrive, avant que ça n’empire. Pour me dérouler... »
Et ça change tout :
« Enfant, j’étais un peu bringuebalée de médecin en médecin. Je l’ai bien vécu, mais mon corps était passif, à la disposition des médecins qui me regardaient, m’observaient. Le yoga m’a permis d’acquérir de l’indépendance, de prendre mon corps en main. »
Sans les miroirs de la salle de fitness
Nadège y voit rapidement un autre intérêt : le yoga se pratique sans le regard des autres. Les élèves ferment les yeux dans la plupart des postures. Surtout, c’est un principe de la discipline : chacun se concentre sur ses propres sensations, tourné vers l’intérieur. Chacun a ses limites, et travaille avec, il n’y a pas d’objectif à atteindre. Pour une post-ado qui débute, c’est un atout :
« J’étais allée visiter une salle de fitness à l’époque, il y avait des miroirs partout. Il faut être assez sûr de soi, à 18 ans, pour accepter de se voir comme ça. »
A cet âge-là, pour Nadège, le handicap « était un truc énorme dans [sa] tête » :
« Tu ne peux pas imaginer que personne ne le voit. Tu te dis que si ça ne va pas dans ta vie, c’est toujours à cause de ce pied bot. Alors que tous les ados vont mal en fait... »
Peu à peu, Nadège voit qu’elle progresse, est plus souple, plus musclée. L’équilibre s’améliore, le corps se détend. Surtout, le handicap prend moins de place dans sa tête. Arrivée à 35 ans, alors qu’elle se met à pratiquer de manière plus intensive, elle parvient enfin à en parler :
« Comme par hasard, c’est à ce moment-là que j’ai lancé les démarches pour être reconnue comme travailleur handicapé. Avant, je faisais comme si de rien n’était. Après, ça m’a permis d’expliquer que je ne pouvais pas faire certaines choses au bureau.
Porter des cartons, par exemple, au moment où nous avons déménagé (et ça a duré des mois). Auparavant, quand je disais “je ne peux pas, j’ai mal au dos”, on me répondait “mais tout le monde a mal au dos !” C’était difficile de dire non. »
Un mois dans un ashram pour devenir prof
Nadège se met à pratiquer de manière plus intensive, quand elle se sépare de son mari. Pendant les vacances scolaires, quand ses deux fils sont chez leur père, elle suit des cours tous les soirs et, chez elle, « s’acharne sur la posture sur la tête » – « un défi personnel un peu crétin », sourit-elle –, jusqu’à parvenir à la tenir.
Elle commence aussi à donner des cours bénévolement : à des collègues de bureau, le midi, et à des mères seules avec enfants, au Café Zoïde. A tel point que, pour ses 40 ans, sa sœur la pousse à se faire un cadeau : « Tu rêves d’être prof, vas-y, c’est le moment. » Mais, pour Nadège, « quand on a ce handicap, on n’imagine pas qu’on puisse faire de son corps son métier ».
Elle finit par s’inscrire malgré tout à une formation d’un mois, dans un ashram. Rapidement, en rentrant, elle profite de possibilités offertes par son entreprise qui est en train de fermer pour créer la sienne. Elle ouvre son centre, Yoga & co, où exercent aujourd’hui une vingtaine de profs :
« Tout le monde n’a pas un handicap physique, mais les gens démarrent souvent le yoga quand ils ont problème : des maux de dos, une séparation, du stress au travail. Et ils choisissent leur prof en fonction de ce qui leur parle. Ceux qui viennent à mes cours rigolent quand je leur dis que je ne tiens pas sur un pied, mais en réalité ça doit les rassurer. »
D’ailleurs, parmi ses élèves, une jeune femme souffre du même handicap qu’elle :
« Elle ne se sert que de la moitié de son corps, l’autre reste rigide. C’est comme si elle était à moitié vivante. »
Une fillette a la mucoviscidose, une jeune fille un cancer, une femme des prémices de sclérose en plaques. Elles viennent surtout là pour faire tomber le stress, et mieux supporter leurs traitements.
Nadège, elle, continue à prendre des cours, « sinon c’est crevant » de ne faire qu’en donner : il faut corriger les élèves, faire les postures tout en parlant, quitte parfois à moins prendre soin de soi.
Tags : nadege, yoga, corps, c’est, handicap
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