• Harcèlement au travail

     Manipulateur et pervers : comment mon chef m'a fait vivre l'enfer

    Modifié le 16-05-2013

    Avatar de Antoine G.Par Antoine G  Juriste  (Nouvel Obs)

    LE PLUS. Juriste dans une entreprise, Antoine G. (à sa demande, son nom a été modifié) a été poussé à bout par son supérieur hiérarchique pendant deux ans. À l'occasion du dossier "Mon chef me rend fou" dans le "Nouvel Obs" du 16 mai, il témoigne sur Le Plus.

    Édité par Sébastien Billard Auteur parrainé par Aurélien Viers

    Dépression

    En 2010, une enquête de la médecine du travail estimait qu'un salarié sur cinq souffrait de harcèlement (SIPA).

    Ma vie professionnelle a basculé en 2010. À cette époque, je travaillais depuis six ans pour la même entreprise. Je m’y sentais bien, j’aimais ce que je faisais et je travaillais avec une équipe que j’appréciais et dont j’avais recruté un certain nombre de membres.

    En 2010 donc, l’entreprise fut rachetée par un grand groupe du secteur détenu par un fond de pension. Mon patron, qui était le fondateur de l’entreprise, a peu à peu été dessaisi de tout pouvoir décisionnel et remplacé par un dirigeant de la société "rachetante". Et très vite, les méthodes de management ont été bouleversées.

    Un directeur à la réputation féroce

    À la suite de ce rachat, le nouveau directeur général de l’entreprise a pris l’initiative, louable, de s’entretenir individuellement avec chacun des salariés. Enfin tous les salariés... sauf moi. Alors qu’il était mon N+2, pendant près de 3 mois, il ne m'a rien, absolument rien dit.

    Il faut savoir que son arrivée, dans l’entreprise, était redoutée. Sa réputation l’avait précédé. Une réputation détestable puisqu’il était célèbre, dans le milieu, pour le nombre important de salariés qu’il avait "poussé" au départ.

    Cette réputation, cet homme d’une cinquantaine d’années, calculateur, à allure très imposante, l’entretenait soigneusement. Il semblait en être fier. Je me souviens encore l’avoir entendu dire, quelques semaines après son arrivée, le sourire au coin des lèvres :

    "Je suis poursuivi aux Prud’hommes dans près de 15 affaires !"

    Il a attendu donc 3 mois pour se présenter à moi, sans me donner la moindre explication. Il a fini par me faire venir dans son bureau pour me poser de nombreuses questions sur le fonctionnement du pôle que j’animais au sein de la société.

    Un management de la peur

    La tonalité plutôt cordiale de ce premier contact était trompeuse. Trois semaines après ce premier rendez-vous, alors qu’un climat de confiance semblait être en train de s’installer, brutalement, toujours sans explication, il m’a déchargé de mes fonctions tout en exigeant de moi que je pousse vers la sortie deux de mes proches collaborateurs, que j’avais moi-même recrutés quelques années auparavant.

    J’ai protesté, argumenté, expliqué pourquoi ces deux salariés méritaient à mes yeux de rester dans l’entreprise. Il n’a rien voulu entendre, il a ignoré mes propos. Ce fut un choc : je me retrouvais, pour la première fois, obligé d’exécuter une décision que je ne comprenais pas et que je ne cautionnais pas.

    Ces deux collaboratrices, il les a reçues peu de temps après dans son bureau. Ces deux salariées, en larmes, ont pris la décision, quelques jours plus tard, de quitter la société.

    Peu à peu, l’atmosphère au bureau a commencé à se dégrader. Il s’efforçait de mettre les services et donc les hommes en concurrence, de créer des rivalités factices. On a tous pris conscience des changements qui étaient en train de s’opérer. Le climat était malsain. Nous le redoutions tous mais, en même temps, nous en parlions ensemble avec prudence car nous nous savions aussi concurrents.

    Il était en train de mettre en place un management basé sur le seul critère de la rentabilité financière, où les sanctions sont immédiates, et où les facteurs humains ne sont pas pris en compte. Je me sentais en décalage avec cette "philosophie".

    "Si t’es pas content, je te dégage dans l’heure"

    Les choses se sont aggravées à l’été 2012. Alors que j’étais en congés, il m’a bombardé de textos pour que, régulièrement, on fasse des points sur nombre de dossiers. J’ai refusé d’y répondre, comme me l’y autorise le droit.

    La sanction fut immédiate. À mon retour au bureau, il m’a convoqué. Pas de bonjour, pas de comment se sont passées tes vacances, il a commencé l’entrevue par "Tu t’es foutu de ma gueule, je vais t’envoyer une lettre d’avertissement". Ce courrier n’était qu’un tissu de mensonges : sur les conseils d’un avocat, je l’ai donc contesté.

    Dès lors, aucune journée ne s’est passée sans son lot de petites pressions, plus perverses les unes que les autres.

    Sa technique était toujours la même, elle semblait bien rodée et perverse à souhait. Il me convoquait dans son bureau, il me laissait tergiverser quelques minutes en montrant son désintérêt pour moi et en pianotant sur son ordinateur, sans doute pour faire monter la pression, puis il m’adressait ses critiques via des formules extrêmement méprisantes.

    À chaque convocation, mes jambes flageolaient, j’avais la boule au ventre. Je ne représentais strictement rien pour lui et il s’évertuait à bien me le faire comprendre. "Si t’es pas content, je te dégage dans l’heure", disait-il, le regard froid et décidé.

    J’étais devenu un zombie

    J’ai fini par craquer, incapable de supporter davantage ce climat, ces pressions quotidiennes. Un matin, je suis arrivé tôt au boulot. Il devait être 7h30, j’ai ouvert ma boîte mail et je me suis effondré. J’étais en larmes, fatigué, exténué. J’étais un zombie.

    Sur les conseils d’une collègue, je me suis résolu à appeler un médecin, qui m’a arrêté pendant 6 semaines.

    À mon retour d’arrêt maladie, j’ai pris la décision de quitter l’entreprise, de demander une rupture conventionnelle. J’avais atteint le point de non-retour. J’avais le sentiment d’avoir été testé, poussé à bout, et je n’avais plus les forces de combattre. Le duel était perdu d’avance.

    Le plus terrible, c’est l’isolement dans lequel on se trouve et l’impuissance qui est la nôtre.

    Dans la mesure où notre entreprise comptait moins de 50 salariés, nous ne disposions pas de relais syndicaux. La direction des ressources humaines avait pris fait et cause pour le directeur. Le fondateur de l’entreprise, mon ancien patron, cherchait, quant à lui, à sauver sa peau. Seule la médecine du travail m’apportait un peu de réconfort.

    En parler autour de soi m’avait toujours été difficile. Je culpabilisais, je pensais que je n’étais pas à la hauteur, que j’étais un mauvais manager. Dans ces cas-là, on se renferme, on devient irritable et on ne pense plus qu’à ça, sous la douche, dans le RER, partout, tout le temps...

    J’éprouve de la haine pour cet homme

    La rupture conventionnelle, il l’a acceptée sans difficulté. C’est sans doute la seule fois où il s’est montré gentil, compréhensif. J’y vois une preuve supplémentaire de sa perversité, de son intelligence, d’une certaine manière. Tout ce qu’il faisait était pensé et réfléchi. Il m’a manipulé habilement pendant deux ans.

    J’ai donc quitté la société en décembre dernier. J’y pense toujours aujourd’hui. Ce qui s’est passé me hante. La cicatrisation sera longue, la page est encore loin d’être tournée. Depuis mon premier arrêt-maladie, je vois un psychiatre. J’ai l’impression que ça restera une blessure à vie.

    Je sais que ce que j’ai vécu n’est pas spectaculaire, que je n’ai pas été frappé ou insulté. C’est quelque chose d’à la fois banal et violent. J’ai été victime d’une violence sourde, mais elle n’en est pas moins douloureuse et dangereuse.

    J’ai et j’éprouve toujours de la haine pour cet homme. Oui, il m'est arrivé de ressentir l'envie de s’en prendre physiquement à lui. Je ne l'ai jamais fait et, heureusement, je ne le ferai jamais. Mais un profond sentiment d’injustice m'anime encore aujourd'hui.

    Propos recueillis par Sébastien Billard


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