Les mouvements sociaux parmi les plus actifs et les plus emblématiques de la période actuelle ont forgé leur histoire dans les années de luttes contre les dictatures (3). Celles-ci ont dominé la région entre les années 1960 et la fin des années 1980, voire 1990 dans certains pays d’Amérique centrale comme le Guatemala.
En Amérique latine, les décennies 1980 et 1990 ont vu correspondre la fin du cycle des dictatures et des coups d’Etat avec l’imposition progressive (milieu des années 1980 et années 1990), puis systématique du néolibéralisme dans tous les pays par les classes politiques locales (conservatrices comme social-démocrates), le FMI et la Banque mondiale (plans d’ajustement structurel). La région s’est ainsi convertie en laboratoire du néolibéralisme mondial.
Ces programmes basés sur la libéralisation et la privatisation de tous les secteurs d’activité, la réduction de la sphère de l’Etat dans la société, l’ouverture des économies aux entreprises multinationales ont abouti, partout, à l’explosion de la pauvreté, des inégalités sociales, de la corruption des systèmes et des personnels politiques et à l’exclusion de pans entiers de la population de la citoyenneté (les communautés indigènes en particulier).
Ils ont produit une montée et une radicalisation des résistances sociales, puis des mouvements sociaux organisés et revendicatifs, mais aussi une dynamique de convergences et de coordination progressive de ces derniers à l’échelle d’un sous-continent façonné par un patrimoine historique, linguistique et culturel commun.
C’est à la faveur des commémorations officielles du « Cinquième centenaire de la rencontre de deux mondes » en 1992 que se mesure cette nouvelle visibilité. En effet, ces festivités officielles promues par les gouvernements d’Amérique latine et d’Europe se voient contestées par une campagne continentale organisée par les mouvements sociaux. Cette dernière vise à célébrer, partout sur le continent et en même temps, « 500 ans de résistance Indigène, Noire, et populaire ». Ces mobilisations initiées par les organisations paysannes et indigènes andines et le MST ont permis de donner naissance, dans chaque pays et au niveau régional, à des coordinations pérennes Indigènes, Noires, paysannes, de femmes, de mouvements de jeunes, de syndicats, etc. Et ce, dans
un contexte marqué par la chute du mur de Berlin, l’effondrement de l’idéologie communiste et l’offensive généralisée du néolibéralisme.
Dès 1994, de nouvelles dynamiques se développent à partir des acquis des mobilisations de 1992. Parmi celles-ci, on peut signaler l’apparition du « Grito de los excluidos » (le « Cri des exclus, pour le travail, la
justice et la vie »). Cette initiative prend la forme de l’une des premières coordinations continentales de « réseaux de mouvements et d’organisations populaires présents dans divers pays d’Amérique latine et de la Caraïbe ».
Cette même année naît au Mexique le mouvement insurrectionnel zapatiste. Ce dernier se lève contre l’entrée en vigueur au Canada, aux Etats-Unis et au Mexique de l’Accord de libre-échange nord-américain
(Alena).
Pour sa part, la Coordination latino-américaine des organisations rurales (Cloc) (4) est fondée par 84 organisations issues de 18 pays et se lie au réseau international de La Via Campesina (5).
On assiste enfin à d’imposantes marches des « cocaleros » (producteurs de feuille de coca) en Bolivie, des indigènes en Equateur, des paysans au Brésil, au Paraguay, au Guatemala pour la réforme agraire, etc.
Cette montée en puissance des mouvements sociaux franchit, à la fin des années 1990, une nouvelle étape avec le projet Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA) – ALCA en espagnol – impulsé par les Etats-Unis.
S’appuyant sur l’existence de l’Alena, ces derniers imaginent en étendre la logique à l’ensemble des pays
de l’hémisphère. C’est lors du Sommet des Amériques de Miami, toujours en 1994, que le calendrier des discussions entre les 34 pays concernés est arrêté. Il s’agit de constituer une nouvelle zone de libre-échange et de liberté commerciale totale en vue d’ouvrir un marché de 800 millions d’habitants. « Promouvoir la prospérité par le biais de l'intégration économique et du libre-échange » selon les termes de la déclaration finale.
Ce projet qui favorise les privatisations, les libéralisations, la réduction du rôle de l’Etat dans l’activité économique, l’exploitation des ressources naturelles, etc. suscite immédiatement un fort rejet de la part des syndicats et des mouvements sociaux. Ces derniers s’organisent alors que les négociations sont prévues pour débuter en 1998.
En avril 1997 est ainsi créée l'Alliance sociale continentale (ASC) à Belo Horizonte (Brésil). Cette coordination va regrouper les mouvements sociaux de 35 pays des Amériques et de la Caraïbe pour lutter contre le projet de l’ALCA qui prétend soumettre aux dogmes néolibéraux les secteurs de l’agriculture, des services, des marchés publics, des investissements, de la propriété intellectuelle.
Entre 1998 et 2005, l'ASC va organiser trois « Sommets des peuples des Amériques » faisant face aux Sommets des Amériques des chefs d’Etat et de gouvernement (6). Chacun d’entre eux permet de mobiliser les mouvements sociaux, ONG, syndicats de tout le continent et d’élaborer, dans le cadre de 6 Santiago du Chili /Chili (1998), Québec/Canada (2001), Mar del Plata/Argentine (2005). L’ASC a depuis organisé d’autres événements d’envergure continentale en 2006 à Cochabamba (Bolivie), au Chili en 2007 et à Trinidad et Tobago en 2009 avec le 4ème Sommet des peuples des Amériques (http://www.asc-hsa.org/).
l’adoption de « Déclarations », des propositions, des revendications et un agenda commun de mobilisations contre les politiques menées par les gouvernements latino-américains et les projets hégémoniques des Etats-Unis.
La combinaison de trois facteurs va permettre de faire capoter les négociations. Au début des années 2000, plusieurs victoires sociales et/ou politiques déterminantes sont obtenues dans des cadres nationaux (7). Dans le même temps se met en place, à l’échelle régionale et internationale, un processus unique de convergences et de coordination des luttes sociales et politiques. Il s’agit du Forum social mondial dont la première édition a lieu à Porto Alegre au Brésil en 20018. Enfin, les premiers gouvernements progressistes issus de l’ensemble de ces mobilisations populaires et revendicatives entrent en scène en Argentine, en Bolivie, au Brésil et au Venezuela.
L’accord est finalement mis en échec en 2005 à Mar del Plata en Argentine (4ème Sommet des Amériques) lorsque Hugo Chávez et Evo Morales se lient aux mouvements sociaux, avec le soutien des pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay), pour rejeter l’accord proposé par George W. Bush.
Parmi les coalitions d’organisations mobilisées par l’ASC, on peut citer : Common Frontiers (Canada), la Red mexicana de accion frente al libre-comercio (Mexique), la Red colombiana de accion frente al libre-comercio (Colombie), les coordinations indigènes d’Equateur ( Ecuarunari), du Pérou ( Conacami), des syndicats du Pérou ( Confédération générale des travailleurs, Confédération national agraire), d’Argentine (Centrale des travailleurs), la Cloc, la Coordination andine des organisations indigènes (CAOI), le réseau Jubilee South, Attac, le Grito de los excluidos, etc. (9)
A ces dernières s’ajoutent les acteurs clés des mouvements sociaux latino-américains : La Via Campesina, le MST, la Centrale unique des travailleurs (présente dans plusieurs pays), la Marches mondiale des femmes, les ONG environnementales, la Centrale ouvrière bolivienne (syndicat COB), etc.
Ces processus de coordination et d’articulation ont eux mêmes permis d’autres dynamiques internationales.
Le réseau bi-régional Enlazando Alternativas est ainsi créé en 2004. Il réunit les mouvements sociaux d’Amérique latine et d’Europe engagés contre le libre- échange (notamment pour ce qui concerne les relations entre l’Union européenne et les pays de l’Amérique latine10). On peut également citer le Forum social des Amériques qui s’est depuis tenu à quatre reprises. (11)