• Regarder le monde...

     

    Cette semaine, j’ai regardé le monde avec les yeux de l’amour  

    Vinvin  Scénariste, Humeuriste, Curateur. (publié sur Rue 89)
    Publié le 29/03/2014

    Cette semaine j’ai regardé le monde avec les yeux de l’amour.

    L’amour de la vie, de ces parfums de printemps qui s’immiscent dans nos sens comme la vigne vierge tourbillonnant sous les charpentes.

    J’ai eu envie de poésie et du gazouillis des oiseaux. J’ai écouté cet accent de plaisir qu’ont les Français bavards et rigolards à l’heure des conversations sur la place du marché, sous le soleil aux teintes anisées.

    J’ai même cru voir Jacques Tati qui passait non loin en vélo. Ça sentait bon la Provence, la Bretagne, la Corse et le Pays Basque. Du béret en veux-tu en voilà, des baguettes, du saucisson, des crevettes grises sur une tartine de pain beurrée salée, un p’tit muscadet, quelque fromage odorant, du piment d’Espelette, un air de bal musette.

    Une atmosphère de XXe siècle

    J’ai humé comme une atmosphère de XXe siècle, une 2CV qui déboule, quelques clochers d’églises où des girouettes rouillées n’indiquent que ce qu’elles veulent. Ça fleurait bon la France de toujours...

    Et puis soudain, j’ai senti comme un parfum d’épice. Je connaissais cette odeur mais son nom m’échappait. Etait-ce du safran, du paprika ou de la coriandre ? Je ne saurais le dire avec certitude.

    Les voix autour de moi parlaient fort ; ce n’était pas aussi chantant que l’accent du sud-est, pas aussi profond que celui du sud-ouest, en fait ça venait de plus bas, ou de plus loin.

    C’était de l’arabe. C’est compliqué à écouter l’arabe. Quand on n’y comprend rien, l’arabe ça sonne comme une mauvaise nouvelle. Comme un reportage de guerre au journal de 20 heures.

    L’arabe, ça fait quarante ans qu’on me l’emballe dans du terrorisme, des cris de douleur de veuves en colère ou du trafic de shit à la Courneuve.

    Quarante ans qu’on me présente l’arabe comme un corps étranger et dangereux. Qu’on me le gueule maladroitement au lieu de me le chanter. Qu’on me le décrit comme un cri de guerre au lieu de me le dessiner.

    A la télé, l’arabe est un détonateur

    A bien regarder ma télévision, l’arabe ce n’est pas une langue, c’est un détonateur pour faire péter de la dynamite dans des bus...

    Pourtant, parlé avec tendresse et amitié, juste normalement, c’est très joli, l’arabe. C’est aussi joli que du polonais, du sénégalais ou de l’italien. Il suffit d’être bien disposé et ça passe tout seul, comme un conte pour enfants !

    Bien sûr, cela demande un effort, il faut être ouvert, curieux, humble ! Pire encore, il faut être dans le respect. Je sais c’est dingue. Quand vous mettez de côté vos instincts tribaux et bas du Front, alors miraculeusement les accents étrangers, les voix un peu fortes et les parfums d’épices viennent s’immiscer avec malice et bonheur sur la place du marché.

    Ils enrichissent la couleur des conversations, ils donnent du piment à l’Histoire, ils renouvellent le plaisir de se regarder humainement. Gentiment.


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